Par Kevin Kim Heng
Par cette question intrigante, j’aborde une fois de plus l’évolution du wushu moderne, influencée non seulement par sa dimension sportive mais aussi par des aspects culturels et linguistiques. Ce sujet met en lumière la richesse de la tradition martiale chinoise et ses transformations au fil du temps, notamment dans le contexte des langues régionales et de leur uniformisation.
Dans cet article, je reviendrai aux sources légendaires des techniques, et par convention, les termes chinois seront transcrits en cantonais, sauf précision contraire.
La griffe du Tigre : Origine et puissance
La célèbre griffe du Tigre, appelée Fu Jow (虎爪), trouve ses racines dans le Hung Gar, et plus spécifiquement dans le style du Tigre Noir de Shaolin (Hak Fu Pai). Cette école aurait été enseignée par le légendaire moine Gee Sin Sim See, qui, selon la tradition, aurait survécu à la destruction du monastère de Shaolin et transmis ses techniques aux pratiquants du Shaolin du Sud.
De ce fait, les écoles de Shaolin du Sud partagent des techniques similaires, et la griffe du tigre est présente dans plusieurs styles, tels que le Hung Gar, le Jow Gar et le Mok Gar.
L’exécution de cette technique varie légèrement selon le style, mais son cri caractéristique demeure : « Woa ».
Ce cri est un son guttural, émis depuis le fond de la gorge grâce à une contraction rapide du diaphragme, projetant un souffle court et explosif. Il existe des variantes dans lesquelles les pratiquants crient « Wa » ; à mon sens, il s’agit d’une simplification du cri original, car le « o » joue un rôle crucial dans la structure du cri. Le « o » permet au son de s’exécuter en deux temps : un premier temps où l’énergie descend vers le bas, avant de remonter avec force, à l’image d’un tigre bondissant.
Ce type de cri amplifie la puissance et l’intensité émotionnelle de la technique, tout en favorisant une respiration profonde et contrôlée, essentielle dans le Hung Gar.
Le bec de la Grue : Une influence plus tardive
Le bec de Grue puise ses origines dans une autre histoire légendaire. Contrairement au Tigre, la Grue aurait été introduite plus tard dans le Hung Gar. Selon la tradition, cette influence viendrait de Hung Hei Goon, fondateur du style, qui aurait intégré les techniques de la Grue Blanche du Fujian grâce à son épouse, Fong Wing Chun, une experte de cet art.
Les techniques de la Grue dans le Hung Gar sont peu nombreuses — tout au plus deux mouvements clés — mais elles se distinguent par leur signature visuelle et sonore :
- La posture du corps en Diu Ma (ou Xu Pu), une position stable et enracinée.
- La main en forme de bec de grue, piquant vers le visage ou des points vitaux.
- Le cri distinctif « Hok », un son aigu rappelant le cri d’un oiseau, produit rapidement avec une impulsion diaphragmatique.
Ce cri, bien que différent de celui du Tigre, partage une origine similaire : il utilise le fond de la gorge mais mobilise davantage la hauteur vocale, exprimant la légèreté et la précision de l’oiseau.
Pourquoi « Hu » pour le Tigre et « He » pour la Grue aujourd’hui ?
Il n’est pas rare d’entendre aujourd’hui les sons « Hu » (虎) pour le Tigre et « He » (鹤) pour la Grue dans les compétitions ou lors de démonstrations. Cette transformation linguistique peut s’expliquer par deux hypothèses principales :
- L’unification linguistique sous le mandarin : Le mandarin (Putonghua), langue officielle de la Chine, est devenu un standard national, influençant les termes employés dans les arts martiaux, souvent au détriment des dialectes comme le cantonais.
- Une adaptation progressive par mimétisme : Avec le temps, des pratiquants non sinophones ont adopté les termes mandarinisés, et cette pratique s’est répandue, devenant une norme. C’est un phénomène comparable à l’utilisation généralisée du terme Kung Fu pour désigner les arts martiaux chinois.
Pourquoi préférer « Woa » et « Hok » ?
Personnellement, je privilégie les sons « Woa » et « Hok », non seulement par conviction traditionaliste, mais aussi en raison de leur pertinence technique et émotionnelle dans le Hung Gar, un style profondément enraciné dans l’expression corporelle et vocale.
- Pour le Tigre : Le son « Woa » permet de prolonger la syllabe « a » en fin de cri, générant davantage de puissance. Essayez : criez un « aaa » méchant devant un miroir, puis essayez avec « ou » ; vous constaterez que le premier donne une expression faciale plus agressive et intense. Cette agressivité reflète l’essence même du Tigre : féroce, dominant et imposant.
- Pour la Grue : Bien que la différence entre « Hok » et « He » soit moins marquée, « Hok » conserve une authenticité et une efficacité singulières. Le son mobilise moins les muscles du haut de la gorge, limitant la tension inutile, tandis que la bouche reste arrondie, favorisant la rapidité et la fluidité du geste. Ces éléments sont essentiels pour incarner la légèreté et la précision de la Grue.
En conclusion, la question des sons dans les arts martiaux dépasse la simple phonétique. Elle reflète des choix culturels, techniques et parfois personnels, témoignant de la richesse et de la diversité des arts martiaux chinois. Que vous choisissiez « Woa » ou « Hu », « Hok » ou « He », l’essentiel reste l’intention, la technique et la fidélité à l’esprit du style que vous pratiquez.
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