Les écoles oubliées

Il existe en France des écoles invisibles, fondées par ceux qui ont accompagné la vague d’immigration des années 1980. Ces écoles, dirigées par des maîtres humbles et discrets, qui restent souvent à l’écart des fédérations et des projecteurs. Ces écoles forment principalement la communauté asiatique, transmettant un kung-fu authentique qui va bien au-delà de la simple pratique martiale ou sportive. C’est un art mêlant le combat, respect des traditions ancestrales parfois religieux, et transmission culturelle.

Dans l’ombre, ces écoles façonnent des pratiquants du véritable kung-fu chinois. Celui-ci englobe non seulement l’art du combat, les formes et les armes, mais aussi des disciplines comme la danse du lion et le culte des ancêtres qui symbolise la profondeur d’une tradition millénaire.

J’utilise délibérément le terme kung-fu et non wushu, car ce dernier est devenu réducteur face à l’étendue de l’apprentissage que ces écoles peuvent offrir. Elles ne forment pas des compétiteurs, mais des dépositaires d’un savoir ancien et d’une pratique traditionnel qui ne demande qu’a être perpétuée.

Parmi ces rares écoles, je souhaite évoquer Yeng Mow Tang, située dans le 13e arrondissement de Paris. Fondée dans les années 1980, elle fut le berceau de mes premiers pas dans le kung-fu et la danse du lion en 1998, d’abord au gymnase Caillaux, puis dans la cour de l’église de notre dame de chine dont l’édifice n’existait meme pas a l’époque de mes entraînements. C’est là que j’ai appris à tenir mon premier mabu, à exécuter mes premières griffes du tigre, sans imaginer qu’un quart de siècle plus tard, je pousserais encore les mêmes rugissements.

C’est au sein de la communauté asiatique, loin des institutions officielles, que le véritable kung-fu s’est transmis, génération après génération. Si vous assistez aux festivités du Nouvel An chinois dans le 13e arrondissement, vous pouvez encore apercevoir les fruits de cet héritage. Devant les échoppes animées de Chinatown, au rythme effréné des tambours qui résonnent comme un battement de cœur, à travers le panache de fumée des pétards éclatants, et au-dessus de la marée humaine, se dessine un spectacle improvisé. Les démonstrateurs, vêtus de tenues bariolées, exécutent leurs plus belles formes, emportés par le tambour et par les acclamations de la foule. C’est ici que s’exprime leur kung fu, loin des tapis de compétition et la solitude des tatamis.

Cependant, ces écoles sont confrontées aux défis du temps : la modernisation, les responsabilités sociales et professionnelles des élèves, et le désintérêt croissant de la nouvelle génération, attirée par des sports médiatisés ou olympiques. Peu à peu, ces fragments de vie et de tradition, apportés en France avec tant de courage et de dévouement, s’éteignent.

Aujourd’hui, je rends un vibrant hommage à ces écoles de l’ombre, à leur savoir-faire inestimable, et à leurs maîtres qui, dans la discrétion, ont bâti des ponts entre les cultures. Puisse leur mémoire être perpétuée, et leur flamme ne jamais s’éteindre.